Jamâa El Bessi : les belles histoires de Si Mongi

Pour ce 1er dimanche de février, le ciel couvert de 8h s'est transformé en belle journée ensoleillée, DjerbaRando avait déserté le centre de l'île jardin pour parcourir les pistes d'une zone moins agricole celle de Guecheine / Oualegh. 

Le clou de cette balade fut incontestablement la visite de la Mosquée El Bessi, l'une des mosquées historiques de Djerba. Pour rien au monde je n'aurai raté la visite de cette mosquée dont j'avais souvent entendu parler. Et notre groupe a eu la chance infinie d'y être reçu et d'écouter les explications de Si Mongi.

Restaurée à maintes reprises par l'Association pour la Sauvegarde de l'Ile de  Djerba avec le concours de l'Institut National du Patrimoine, elle a hélas fait la une de la presse au lendemain de la Révolution de 2011 quand la tombe de l'un des fondateurs fut profanée... Tombée entre les mains d'un groupe de salafistes elle ne fut plus qu'un espace exclusif de prières dédiées au wahhabisme , chose incongrue quand on connait l'esprit de tolérance et d'ouverture sociale de ses fondateurs. Cette mosquée a connu de nombreuses vicissitudes comme le vol de son cadran solaire mais aujourd'hui elle est enfin redevenue un lieu de sérénité. 

Mosquée El Bessi -

Si Mongi et notre animateur Khalifa

Pour évoquer son histoire nous avons eu le privilège de rencontrer Si Mongi El Bessi l'un des descendants de la famille. Intarissable il est l'un des fins connaisseurs de cette histoire car les membres fondateurs ont laissé de nombreux documents écrits jalousement conservés par la famille et c'est tant mieux pour la postérité. 

Ce sont donc les 3 frères  El Bessi qui sont à l'origine de cette mosquée érigée vers la fin du 18ème siècle,  en 1785 (1199 de l'Hégire). Ces 3 frères faisaient commerce avec Istanbul et comme les voyages forment la jeunesse, leurs pérégrinations les ont certainement amenés à découvrir d'autres façons de penser et de voir le choses ce qui explique peut être leur ouverture d'esprit. 

Mohamed le premier a financé la mosquée, Salem le second a imaginé la pérennité du lieu en créant un habous permettant de rendre les terrains alentours inaliénables et donc assurant le  financement de l'école et Othman le 3ème dirigeait l'école comme professeur. 

Tous trois voulaient créer un lieu de culte pour diffuser un islam modéré, faire vivre une école de niveau supérieur et proposer une bibliothèque. Leur volonté fut même gravée dans le marbre au propre comme au figuré ! 

Règlement de la mosquée -

La mosquée par elle même est le fruit d'un mélange d'architecture entre les mosquées ibadites et les mosquées turques. Le minaret , très particulier, comme les arcades sont des éléments ottomans. Elle comporte une salle d'ablution et des sanitaires. Elle était construite sur le chemin des puits, l'eau douce de Oualegh alimentait une bonne partie de l'île. Située en pleine campagne, elle avait néanmoins quelques meurtrières de forme ronde pour surveiller les éventuelles attaques. 

L'école, une grande madrassa abrite des salles de cours, des chambres pour les étudiants venus de loin, du sud du pays comme de l'Algérie, ainsi que le logement du directeur . Madrassa renommée, l'enseignement était gratuit et une fois leurs cours terminés, les étudiants pouvaient continuer leur scolarité à la Zitouna de Tunis. Toutes les matières y étaient enseignées, c'était un espace d'érudition et de savoir. 

La mosquée connut ses heures de gloire vers 1870 et c'est seulement en 1925 que l'activité a commencé à décliner. 

Les chambres d'étudiants - Minaret, mihrab et estrade -

Dans l'une des salles une petite exposition de documents raconte aussi l'histoire de la Mosquée. Une superbe enluminure en lettres dorées signée par le Bey de Turquie autorise les frères El Bessi à fonder cette mosquée, preuve que Mohamed, Salem et Othman étaient reconnus dans l'empire ottoman comme des gens de bien, d'ailleurs à plusieurs reprises ils furent chargés de missions, en tant qu'ambassadeurs, notamment dans le cadre de conflits. 

Les frères El Bessi avaient même organisé à l'extérieur de la mosquée un souk dont les produits de la vente alimentaient financièrement les caisses de la madrassa. 

Parmi les éléments exposés, une photo du cadran solaire aujourd'hui disparu, plaque de marbre garnie de pointes de métal pour régler le moment des cinq prières quotidiennes. 

Et, cerise sur le gateau,  un document plus personnel, un contrat de mariage d'un grand-père de Si Mongi. Ce contrat stipulait entre autres que la future épousée devait être accompagnée tout au long de sa vie par une domestique, radema, et qu'en cas de décès de cette dernière, elle devait être remplacée. Autre caractéristique, en cas d'absence prolongée du mari , plus de 2 ans, la femme restée au foyer pouvait choisir entre rester mariée ou prendre un autre époux....

J'ai également évoqué une bibliothèque, celle-ci, propriété de la famille  est composée de plus de 300 manuscrits et déjà 70 d'entre eux ont fait l'objet d'une numérisation pour pouvoir être consultés par internet... 

Mais le temps qui nous était imparti pour cette visite était bien trop court pour écouter toutes les histoires de cette famille ...   

Enluminure turque - Contrat de mariage - Tombe du fondateur -

Il reste de cette balade une saveur particulière, là ce ne fut pas le paysage l'élément prédominant mais une belle page d'histoire d'où il ressort une proximité évidente entre l'empire ottoman, les beys husseinites et Djerba...

Une période sur laquelle il me faut désormais me pencher ...